Bilan or not bilan, that is the question

Entre la peur d'être contaminé par le covid-19 ou la dengue, la peur de ne pas pouvoir protéger les élèves en présentiel et le sentiment d'impuissance face à nos missions qui ont été virtualisées, notre métier d'enseignant a été mis à mal non pas par les virus mais par les injonctions tout azimut.

En période de reprises des activités pédagogiques est apparu tel le virus, le bilan des acquis des élèves pendant le confinement. Comme le Corona, nul ne connait sa genèse mais tous le subissent à l’identique. Pas de gestes barrières possible !
Les objectifs sont différents en fonction des établissements et des niveaux de classe. Cependant les finalités restent bien l’évaluation des apprentissages et des compétences des élèves pendant le confinement. Pourtant, pendant cette dernière période, il était question de garder le lien avec les familles et de leur fournir les outils pour garantir une continuité pédagogique. Le ministre a été assez clair sur le sujet.

Avant d’aller plus loin, il est important de définir les mots. Un bilan est entendu comme un « état d’une situation, le résultat d’une action ou d’une opération d’ensemble. Par ex : Le bilan d’une réforme » (Larousse). Toujours selon le Larousse, L’évaluation est l’action d’évaluer, de déterminer la valeur (quantitative et qualitative). Dès lors, le bilan des acquis devient ambigu. C’est bien une évaluation des acquis et non un état de la situation dont il est question.

Dès lors, on devient plus sceptique. Quel est le but recherché ? Ne servirait-il pas à légitimer les réformes de J-M Blanquer et à démontrer que le distanciel a été une réussite ? Cela en tout cas questionne tant sur le fond de la demande que sur la forme de la démarche.

Durant le confinement, ce sont les parents qui ont accompagnés leurs enfants. Ce sont aussi ces mêmes parents qu’on évalue indirectement à travers ces bilans. Les résultats seront culpabilisants pour certains. Entre ceux qui ont travaillé et n’ont pu suivre leur enfant et ceux qui n’ont pu les aider, entre les élèves déconnectés et les parents en difficulté, « ce point d’étape » risque de fragiliser la relation qu’ils ont avec l’institution et leur estime d’eux-mêmes.

Les modalités de passation sont hybrides également: évaluation en distanciel et en présentiel. Cela n’a pas découragé pour autant nos collègues. Beaucoup ont pris les choses en main mais ont vite déchanté face à l’incohérence et l’absurdité de la mise en oeuvre. On s’imagine facilement l’exécution en présentiel. Qu’en est-il du distanciel où déjà l’organisation du temps de travail est très complexe, rajouter à cela un bilan?

Il semble admis par l’administration que tous les élèves en distanciel pourront facilement satisfaire à l’évaluation des acquis dès la reprise. Au delà des modalités de passation, se pose aussi la question de la valeur qu’on accordera aux résultats. Nous l’avons assez répété, l’école à la maison n’est pas l’école. L’expertise de l’enseignant ne saurait être dématérialisée. L’organisation du temps de travail en distanciel est très complexe. Rajouter à cela un bilan ou des évaluations dénotent une non prise en compte des conditions réelles de travail en distanciel des enseignants par le ministère. On s’imagine peut être des enseignants relaxes, travaillant un peu le matin et cueillant les goyaviers l’après-midi ?

Dans les dernières consignes reçues par les collègues de leur IEN, il est précisé qu’on peut procéder par visio (individuels ou collectifs) et par téléphone. Il semble aussi admis que les enseignants doivent utiliser leur propre moyen de communication (téléphone, ordi, imprimante…) pour satisfaire les exigences déconnectées de la réalité de l’enseignement virtuel. Sous couvert de solidarité nationale, se cachent parfois l’infantilisation et la culpabilisation qui bloquent l’émancipation et permettent la manipulation. Personne ne pourra dire que les enseignants n’ont fait preuve de volontariat. Personne ne pourra soutenir l’idée que les élèves ont été abandonnés. Nul ne pourra prétendre que les familles ont été laissées sur le bas coté. Où est donc passée la confiance de l’administration quant à l’expertise des professeurs sur le niveau atteint par leur élève ? Ce bilan ne fera qu’accentuer et creuser davantage les inégalités socio-culturelles que révèle déjà notre système éducatif.

Pour le Sgen-CFDT Réunion, la priorité est d’utiliser le temps scolaire qu’il nous reste pour que les élèves puissent renouer physiquement avec l’école dans des conditions sanitaires irréprochables.

Il y a à des actions importantes à mettre en oeuvre dans les semaines à venir :
-pour les élèves : leur permettre un retour dans les locaux maintenant ou à la prochaine rentrée dans des conditions de sécurité maximale.
-pour les équipes : anticiper la rentrée 2020/2021 en faisant le point en présentiel quant aux apprentissages nécessaires. Travailler et harmoniser les progressions et les programmations de cycles afin de raccrocher l’ensemble des élèves. Organiser la sécurité dans leur établissement.
– pour les parents : conserver le lien privilégié qui a été tissé pendant le confinement et avoir confiance dans l’école post covid-19.
– pour l’administration : engager une réflexion profonde sur la modernisation des outils pédagogiques, la formation des personnels et la protection des travailleurs (présentiel et distanciel).
– pour les collectivités: engager un vaste plan de mise aux normes et de rénovation du bâti, de la connexion des familles et de la formation et de l’équipements des agents

Le Sgen-CFDT Reunion n’est pas visionnaire mais il sait que le métier de l’enseignant du 21ème siècle ne sera pas comme le pense notre ministre !

Le covid-19 a levé le voile sur le métier d’enseignant. Dès le départ, l’ensemble des collègues s’est mobilisé physiquement ou virtuellement non pas pour animer mais enseigner. Plus qu’une idée, une nécessité, tout comme à l’hôpital, il faudra investir plus dans l’Ecole de demain.